Travailleurs le jour, joueurs de tours le soir

La belle Aurore

Pour ceux dont les ancêtres ont été pionniers du village de Rivière-aux-Graines, il y a fort à parier que vous êtes au courant de certaines de ces histoires. Plusieurs m'ont été racontées par mes parents.

Cette première anecdote qui fait référence à certaines superstitions en vigueur à cette époque est en réalité un tour joué à George Poulin par Clarence Bond et Michel Henley. Connaissant les croyances irrationnelles et superstitieuses de leur ami George, les deux malcommodes allaient en profiter pour lui jouer un tour qu'il n'oublia jamais. À Rivière-aux-Graines des joueurs de tours il y en a toujours eu.

Mais tout d'abord, voici un petit préambule nécessaire pour bien expliquer la situation qui prévalait à l'époque dans notre belle Minganie.

Les faits relatés ici ne se sont pas passés à Rivière-aux-Graines, mais plutôt au Dock, hameau situé à l'est de Rivière-au-Tonnerre. Ce petit village, bien que moins populeux que Rivière-aux-Graines était bien structuré, plusieurs familles y vivaient à l'année. Je pense aux Parisé, Roussy, Beaudin, Fleury, Grenier, Morin et j'en passe. De nos jours, circulant sur la route 138, vous pouvez apercevoir au nord, une pancarte qui indique le cimetière du Dock. Elle a été réalisée et installée par souci de conservation du patrimoine religieux et historique, son concepteur est Laurent Parisé. Laurent a aussi construit une grande croix en épinette rouge, il l'a installée dans une base de béton en guise de calvaire, en plus d'avoir restauré et identifié plusieurs croix du cimetière. Cet homme qui est aussi propriétaire d'un chalet à Rivière-aux-Graines, est né et a vécu les premières années de sa vie au Dock, plusieurs de ses ancêtres y sont inhumés.

Vers 1936 ou 1937, en pleine crise économique d'avant-guerre, la route 138 entre Rivière-au-Tonnerre et Havre-Saint-Pierre était en construction, les travailleurs y venaient d'un peu partout en Minganie. Un emplacement bien connu était la petite carrière du Dock où étaient pratiqués régulièrement bon nombre de dynamitages. La machinerie utilisée dans ce temps là n'avait rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Certains comme monsieur Simon Roussy charriait la roche avec un cheval et une charrette. Il y avait aussi un boeuf qui tirait une charette sur ce chantier me dit mon père.

Les rares camions deux tonnes étaient chargés et déchargés à la pelle, les pierres éclatées à la masse et les billots manipulés à bras. ¨Après avoir chargé le camion, on embarquait sur le tas de gravel pour aller le décharger plus loin sur le chemin¨. Mon père se souvient de voir et surtout d'entendre le foreman dire à un petit homme vaillant, mais plutôt faible ¨Emplie ça c' te pelle là, c'est pas une cuillère à soupe¨. Aux dires de mon paternel, c'était ce genre de propos qui était tenu sur tous les chantiers. C'est ce que moi j'appelle, ne pas l'avoir eu facile.

Une bonne partie de la main-d'oeuvre de Rivière-aux-Graines et d'ailleurs était jeune, et malgré la dureté du travail, l'atmosphère était souvent à la fête. Ces jeunes hommes à l'aube de l'âge adulte étaient en grande forme et en pleine possession de leurs moyens, leur robustesse fût donc mise à profit. Par une belle journée d'été, une délégation de RAG quitta le village avec des tentes, l'optique du groupe étant de prendre part à la construction de la route nationale moyennant rétribution pour venir en aide à leurs familles. Parmi les employés présents sur le chantier, on peut mentionner les noms de Fabien Pinette, George Poulin, Ludger Ellement, Clarence Bond, Michel Henley et Philias Henley. Ceux de Albert Bond, Walter Bond, Earl Bond, Joseph Albert Bond et Charley Vibert de Rivière Chaloupe. Simon Roussy du Dock, Wilfrid Cody de Rivière-au-Tonnerre ainsi que les frères Léon et Alexandre Beaudry deux gaillards de Longue-Pointe de Mingan.

wendigo-625x450Après quelques jours et une fois les campements bien montés, une petite routine journalière était enclin à s'incruster, jusqu'à ce que quelques jeunes de 15, 16 et 17 ans entreprirent de traverser le petit pont enjambant le ruisseau les séparant du village du Dock, à l'est. Quelle surprise de découvrir la perle du village, Aurore la fille des Grenier, d'une beauté remarquable, elle est de plus la seule jeune fille du village! Nul besoin de mentionner de quoi étaient composées les discussions dans les tentes ce soir-là. Bien que chacun croyait à sa propre chance de conquérir le coeur de la séduisante Aurore et malgré les prévisions partisanes des plus âgés tel monsieur Fabien Pinette, il y eut un seul élu et ce fut George Poulin.

George partageait une tente avec ses amis de RAG, Michel et Clarence. Le soir après le travail, il partait à pied pour rendre visite à sa nouvelle conquête la belle Aurore. Par un soir de pleine lune, n'étant pas sans savoir que George était parti veiller au village chez les Grenier, ses deux compagnons d'infortune décidèrent de se rendent sur le bord de la grève, à haute marrée et de récupérer un vieux chicot sec, orné de grandes bandelettes de goémons sur toute sa longueur.

Ils l'installèrent verticalement sur le bord du sentier, de l'autre côté du ruisseau tout près du pont. En fin de soirée lors de son retour du village et juste avant d'arriver au petit pont, George vit cette forme humaine activée par la brise sous la lune, scintillant dans le noir comme du feu. Du coup, il hurla tellement fort que plusieurs dont Michel et Clarence l'entendirent de leur tente. II retourna au village étant persuadé que le diable venait de lui apparaître près du pont. Cette soirée-là, il coucha au village. Le lendemain matin devant retourner à la tente pour organiser sa journée de travail, il refit le parcours avec un résident du Dock qui lui montra ce qu'il avait en réalité vu le soir d'avant. Même après avoir constaté le minutieux arrangement en bordure du sentier, il eut pour un long moment de la difficulté à concevoir qu'il n'avait pas vu le diable ce soir-là.

À cette époque, il n'y avait rien de rare à croire à toutes ces superstitions. Juste dans les alentours de Rivière-aux-Graines, bien d'autres histoires de la sorte ont été répertoriées. Plus tard, la bande de lurons, incluant George Poulin, a bien ri de ce qui s'était passé au Dock.
Gaétan Henley
webmestre

riviere-aux-graines.net