Apparition répétitive

INTRODUCTION

Les habitants de chaque village de la Minganie ont un accent qui leur est propre. Bien que ces petites places ne soient pas très populeuses et que les distances qui les séparent soient plutôt courtes, les caractéristiques visuelles ou auditives nous distinguant sont très faciles à identifier. Que ce soit, par l'intonation, la gestuelle ou la parlure en générale, aucune difficulté, par exemple à différencier les natifs de Rivière-au-Tonnerre avec ceux de Sheldrake, ou ceux de Longue-Pointe de Mingan à ceux de Magpie.

Au temps des petites agglomérations, c'était la même chose, et les gens d'un certain âge qui ont quitté leurs patelins depuis le début des années cinquante ont encore en commun quelques patois ou façons de s'exprimer qui font partie intégrante de l'identité d'un lieu habité.

Mais dans le texte qui suit, il sera surtout question d'un esprit collectif ou trait de caractère typique aux habitants du village de Saint-Victor de la Rivière-aux-Graines. À cet endroit les gens étaient particulièrement, pour ne pas dire, terriblement superstitieux. Cette courte histoire intègre dans son ensemble des personnages de Rivière-aux-Graines, mais aussi de Sheldrake. Pour qu'il y ait superstitions et épouvantes depuis des décennies dans un lieu donné, c'est qu'un noyau de propagandistes très solide devait l'avoir entretenu par ses propres croyances depuis longtemps. Les porteurs de frayeur étaient en général des gens d'un certain âge qui avaient eux-mêmes soi-disant vécu des expériences effrayantes. Tant et si bien que dans les années trente presque tout le monde était devenu superstitieux à Rivière-aux-Graines. Ces histoires reprises et montées en épingles nous amènent à celle-ci, bien réelle.

La religieuse

religieuse
Nous sommes à l'été 1935 à Rivière-aux-Graines dans le contexte économique difficile que l'on sait. Depuis plusieurs nuits, quelques habitants du village disent voir une religieuse tout près de l'église sous une lune à demi voilée. La nouvelle se propage et vient aux oreilles de gens de Sheldrake qui pour plusieurs n'osent se prononcer étant donné le caractère religieux de la nouvelle. Une apparition est pour quelques-uns tout aussi plausible sur le terrain de l'église de Rivière-aux-Graines que dans un autre lieu sacré. C'est alors qu'à Sheldrake, des discussions prennent cours dans les chaumières, sur ce qui est sur le point de devenir un événement. Mais, il y a un grand sceptique, George Bouchard, le fils de Nicholas Bouchard et de Suzanne Chinic. Il est reconnu pour son sang-froid face à ce genre de situation.

Chez les Bouchard, le sujet est pris au sérieux, ils sont très croyants et aimerait en avoir le coeur net. Ce soir-là devant les membres de sa famille rassemblés autour de la table, George prend la parole en disant; ¨Je vais leur apporter leur religieuse¨. Le lendemain soir, il était présent dans une maison de Rivière-aux-Graines et attendait de voir la fameuse apparition se produire. Comme les autres sur place, il vit bien une silhouette qui bougeait et qui en effet, sous un pouvoir de suggestion, pouvait ressembler à un être humain habillé avec des vêtements amples de couleur sombre et un soupçon de blanc. À la différence des villageois qui observaient le phénomène depuis déjà quelques nuits sans intervenir, lui Georges Bouchard alla à sa rencontre en plein coeur de la nuit sous l'oeil attentif de témoins, pour certains effrayés par le geste qu'il s'apprêtait à poser.

Au bout de quelques minutes, il revint avec la vache d'un résident du village qui depuis quelque temps profitait d'une brèche dans une clôture pour venir de nuit brouter l'herbe sur le terrain de l'église. Cette histoire n'est certainement pas empreinte de délicatesse envers les membres de l'apostolat, j'en conviens, mais elle devait selon moi être racontée dans toute son authenticité.

Ce genre de phénomène dit de persuasion ou de suggestion continue d'exister de nos jours. Pour ma part, il y a quelques années, je me rappelle avoir vu un ours derrière la maison familiale, nous étions à un certain moment quatre dans la fenêtre, et plus on regardait et plus on le voyait distinctivement, tant et si bien que nous avions décelé la couleur du museau de l'animal, pour finalement nous apercevoir, à l'aide de jumelles que c'était une souche. La couleur du temps, le soleil, les ombrages, et nos racines Saint-Victoriennes aidant, avaient presque concrétisé notre envie commune de voir un ours.

Gaétan Henley
webmestre

riviere-aux-graines.net